Le droit de choisir son lieu de naissance

Le droit de choisir son lieu de naissance

Comment réagiriez-vous si on vous apprenait que désormais la péridurale n'était plus remboursée par la Sécurité Sociale ou que la césarienne devenait obligatoire dans toutes les maternités de France ? Comment réagiraient les féministes d'hier si aujourd'hui brusquement le droit de vote ou celui d'avorter étaient brutalement enlevés aux femmes ? Et bien, c'est un peu ce sentiment d'injustice et d'abus que ressentent aujourd'hui bon nombre de parents ayant pu bénéficier ou souhaitant bénéficier d'une naissance dite "Accouchement Assisté à Domicile" (AAD) avec une sage-femme libérale ou d'un "Accouchement Non Assisté" (ANA) sans personne pour aider les parents.  Plus souvent par accident ou absence de suivi en accompagnement global (avant, pendant, après l'enfantement) que par choix délibéré, nombres de couples se retrouvent chaque année obligés de se débrouiller par eux-mêmes pour donner naissance à leur enfant à la maison.

Pourquoi le droit fondamental de choisir le lieu de naissance de son enfant est-il toujours remis en question ? 

D'abord, parce que ces mêmes sages-femmes courageuses, qui hier brandissaient l'étendard du droit des femmes de disposer de leur corps comme "bon leur semble" et qui encore chaque jour accompagnent des couples sans compter leurs horaires ni leurs nuits de garde, se trouvent toujours étranglées, menacées d'arrêter leurs activités face à une obligation d'assurance insidieuse et toujours aussi exorbitante. A titre d'exemple, en Belgique l'assurance pour les sages-femmes tourne autour de 900€ pour 20 000€ en France. Simplement parce que, dans notre pays, le coût pour ce type d'assurance professionnelle est encore assimilée à celui des gynécologues-obstétriciens, alors que ni les pratiques, ni les risques et encore moins les salaires ne sont équivalents ! Aujourd'hui, les sages-femmes libérales conventionnées ne peuvent donc plus vivre décemment, à moins de pratiquer d'énormes dépassements d'honoraires, et se voient surtout de plus en plus stigmatiser par l'Ordre des Sages-Femmes.

En effet, une lettre envoyée à la rentrée 2013 avait mis le "feu aux poudres" déjà bien allumées ! Il leur avait été à nouveau signalé leur obligation d'assurance et notamment leur déclaration de pratique de l'AAD. Une véritable chasse aux sorcières se poursuit donc et se durcit chaque année. Ceci a finit surtout par en lasser plusieurs qui depuis ont cessé carrément leurs activités pour retourner pratiquer à l'hôpital où elles auront un meilleur salaire et plus de reconnaissances. Mais encore un choix en moins pour les parents ! Sachant déjà qu'elles se font de plus en plus rares dans beaucoup de régions et départements.

Mais, au delà de la question de l'Accouchement à Domicile, qui ne correspondait en réalité qu'à 1 ou 2 % des 830 000 naissances en 2013 et plus que 650 000 naissances environ par an en France en 2023 (comprenant autant l'AAD : Accouchement Assisté à Domicile que l'ANA : Accouchement Non Assisté), il s'agit avant tout de défendre la naissance respectée autant que la revalorisation du métier de sage-femme (respectées aussi) comme le droit des femmes enceintes à respecter et donc à laisser choisir en toute conscience et connaissance de causes& d'effets de faire naître ou non leur enfant où elles veulent, comme elles veulent et avec qui elles veulent. Et cela malgré l'avis personnel de certains juges et professionnels de santé qui continuent d'assimiler les femmes enceintes à "des mineures", "malades", "déficientes physiques ou psychiques", "personnes âgées", etc." (voir l'article 223-15-2, modifié par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 – art. 133). Puisque beaucoup pensent encore qu'une femme en état de grossesse ou en "travail" ne peut pas être suffisamment en pleine possession de ses capacités intellectuelles et physiques pour faire des choix éclairés pour sa santé et celle de son enfant. Voilà pourquoi, ils se sentent autoriser à tenter de la raisonnée par tous les moyens. Ainsi la loi de 2002 (article R4127-306 du Code de la Santé Publique) va dans le même sens : "La volonté de la patiente doit être respectée dans toute la mesure du possible [!]. Lorsque la patiente est hors d'état d'exprimer sa volonté, ses proches doivent être prévenus et informés, sauf urgence, impossibilité ou lorsque la sage-femme peut légitimement supposer que cette information irait à l'encontre des intérêts de la patiente ou de l'enfant". Ainsi, lors d'un procès pour fautes, on pourrait légalement reprocher à la (ou aux) sages-femmes présentes ne pas avoir assez insister ou obliger ses proches à l'influencer.

Pourtant l'article L1111-4 du Code de santé publique déclare également : “Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.” Contradictoire !

Alors où situer la liberté des femmes enceintes ? 

La Cour Européenne des Droits de l'Homme a statué en 2007 sur le libre arbitre des femmes en couches (voir document annexe). Ainsi, comme nul n'a à imposer ses choix et peurs aux autres, tout état devrait pouvoir proposer au moins divers choix de lieux de naissance aux femmes enceintes. Car, qui dit choix dit au minimum 2 possibilités ! Mais, en France, à l'inverse de l'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique ou d'autres pays nordiques, où existent de "vraies" maisons de naissance financièrement et administrativement indépendantes des hôpitaux, on leur refuse encore le droit fondamental de choisir.

Alors qu'en 1950, 45% des accouchements en France avaient lieu à domicile et que dans le monde, on estime encore à plus de 80% les naissances ayant lieu au domicile des parents ou des "matrones" (sages-femmes traditionnelles), et à encore 30 % aux Pays-Bas. Pourtant, aujourd'hui en 2013, avec un taux de natalité en France de 12,72% (soit 2,01 enfants par femme) contre 10,89% aux Pays-Bas (soit 1,73%), la France reste, avec l'Irlande, le pays de l'Union européenne où la fécondité est la plus forte, mais conserve cependant un taux d'allaitement parmi les plus faibles (autour de 65% en France et moins de 50% en Irlande en sortie de maternité), avec par contre un taux de péridurale parmi les plus élevés (plus de 60% en France contre 10% aux Pays-Bas) et de césarienne de 20% : 2 fois plus qu'il y a 20 ans (pour 13,6% aux Pays-Bas en 2002)...

(source : http://www.cesarine.org/avant/etat_des_lieux.php)

A titre de comparaison, en 2001 85% des sages-femmes néerlandaises travaillaient en secteur libéral pour seulement 15% en milieu hospitalier et 33% des accouchements avaient bien lieu à domicile, contre 67% à l'hôpital et le reste en polycliniques. Pour en savoir plus sur le modèle néerlandais :

(http://www.alternatives.be/temoignages/naissance_pays_bas.htm) et (http://www.amsterdam-accueil.org/v2/index.php?page=158)

Pourtant, bien que le taux de morbidité et de mortalité infantile, qui diminuait régulièrement auparavant en France, se soit stabilisé en 2013 au niveau de 3,5%, notre pays occupe toujours une place moyenne en Europe. Certains pays nordiques ayant un taux de mortalité infantile inférieur à 3% et un taux d'allaitement de plus de 98% (Norvège). Preuve en est donc, avec d'autres statistiques à l'appui (cf CIANE), que malgré la pensée populaire "l'accouchement à domicile n'est pas plus dangereux qu'un accouchement à la maternité" (Cour Européenne des droits de l'Homme - CEDH, Ternovszky c. Hongrie, 2010)

10 ans plus tard en 2023 on en est où ? Désormais depuis la crise Covid on assiste à une chute démographique frappant aussi la France, comme le reste de l'Europe, due moins à un éventuel virus pathogène qu'à une chute réelle et brutale des naissances (environ 678 000 bébés nés en 2023 contre 726 000 en 2022 : INSEE natalité 2022) par rapport au nombre de décès annuels (638 266 décès en 2023 contre 657 232 en 2022 : INSEE mortalité 2023).   

Donc, encore une fois, le débat ne se situe pas finalement ici sur être pour ou contre l'AAD, mais plutôt pour ou contre la naissance respectée en générale. Donc sur le droit des femmes à choisir librement leur lieu d'accouchement ainsi que le ou la professionnel(le) de leur choix, y compris d'ailleurs en maternité où (comme on pourrait l'espérer un jour avec des suivis globaux aussi) comme en Maison de Naissance ou chez soi.

Dossier " périnatalité et parentalité : une révolution en marche ? "
De la matrone à l'obstétricien : quel partage des rôles pour les professionnels ?

Accoucher autrement chez soi ou dans une Maison de Naissance

"(...)Plusieurs innovations ont été mises en place dans certains hôpitaux français. On peut citer, par exemple, l'accouchement ambulatoire, qui permet à l'accouchée de repartir rapidement chez elle, où elle sera suivie par une sage-femme libérale. Certains expérimentent la péridurale ambulatoire, qui laisse la femme libre de se déplacer pendant toute la période de l'effacement du col. D'autres ont ouvert des salles de naissance, sur le modèle du célèbre docteur Odent, à Pithiviers. Il s'agit d'offrir à la femme un lieu d'accouchement qui ressemble le plus à son domicile, où elle peut décider d'accoucher suspendue, accroupie, soutenue par son mari.

Si aujourd'hui la participation des usagers dans le système de soins est un des objectifs majeurs de la politique de santé, les multiples associations gravitant autour de la naissance ont pourtant des difficultés à être reconnues comme partenaire légitime dans les décisions. Cependant l'arrivée, dans le champ de la santé, d'un citoyen de plus en plus éclairé en matière de connaissances scientifiques, de plus en plus critique sur la relation asymétrique médecin-patient, laisse augurer des changements profonds sur les conditions de la naissance en France.

Maisons de naissance : un accouchement difficile

Les Maisons de naissance - structure autonome dirigée par des sages-femmes - se sont d'abord développées aux États-Unis à la fin des années 1980 puis, une dizaine d'années plus tard, en Europe. On compte aujourd'hui trente-neuf Maisons de naissance en Allemagne, neuf en Suisse, trois en Autriche, deux en Angleterre et une en Italie. Une Maison de naissance se distingue tout d'abord par son lieu (peu de chambres), son personnel (les sages-femmes sont totalement autonomes et responsables de la maison), sa philosophie de la naissance, qui repose entièrement sur la physiologie. Les structures sont toutes rattachées au centre hospitalier le plus proche, avec lequel elles travaillent en étroite collaboration. En France, plusieurs initiatives ont vu le jour, sous l'impulsion de Bernard Kouchner, en 2001, ou encore du Plan périnatalité 2005-2007, qui devait permettre l'expérimentation de maisons de naissance1. Cependant, et c'est ce qui explique les difficultés actuelles, pour ouvrir ce nouveau type de structure, le gouvernement et le corps médical souhaitent que les maisons de naissance soient attenantes à des plateaux techniques, alors que les sages-femmes veulent des structures indépendantes. Au nom du principe de sécurité, les médecins français ne peuvent accepter que des accouchements se déroulent en dehors du milieu hospitalier. Cet argument cache plus largement la difficulté pour les praticiens d'abandonner la physiologie aux sages-femmes. Si ces maisons de naissance voyaient le jour, toutes les femmes qui connaissent une grossesse à bas risque pourraient y accoucher. Cette forte activité des sages-femmes leur permettrait d'acquérir une représentativité et un pouvoir qui pourraient venir ébranler la toute puissance médicale et la force du paradigme biomédical. Rappelons que l'histoire a montré qu'il a fallu du temps pour que les femmes acceptent de confier leur ventre au médecin à la place de la matrone. Il est alors difficile aujourd'hui pour eux d'envisager un partage des pouvoirs.

1. Un article du Monde, du 22 juillet 2007, nous apprenait que le projet d'expérimentations de Maisons de naissance est interrompu par l'actuel ministre de la Santé. Sandrine Blanchard, " Le projet des maisons de naissance est interrompu ", Le Monde, 22 juillet 2007."